Comment maintenir un mode de vie "zéro déchet" dans un monde qui valorise encore majoritairement une consommation non durable ? C’est la question centrale qu’explore la chercheuse Elisa Robert-Monnot dans un article publié récemment dans le prestigieux Journal of Consumer Research.
Elisa Robert-Monnot, enseignante-chercheuse à CY Cergy Paris Université et membre du laboratoire ThEMA (CY/CNRS), vient de signer une publication dans le Journal of Consumer Research (JCR), l’une des revues les plus prestigieuses dans le domaine du marketing et des comportements de consommation. Co-écrit avec Fanny Reniou (Université de Rennes) et Cristel Russell (Pepperdine University, Los Angeles), l’article, intitulé "How to Sustain Sustainable Practices? The Journey Toward Zero Waste Lifestyle", interroge les ressorts du maintien des pratiques durables, à travers l’exemple du mode de vie "zéro déchet".
Une définition s’impose. Elisa Robert-Monnot cite celle, très complète, de l’Alliance internationale du zéro déchet (Zero Waste International Alliance), qui le désigne comme "la conservation de toutes les ressources par le biais d’une production, d’une consommation, d’une réutilisation et d’une récupération responsables des produits, des emballages et des matériaux, sans combustion et sans rejet dans le sol, l’eau ou l’air qui menacent l’environnement ou la santé humaine." Pour les individus, en pratique, le mode de vie "zéro déchet" implique l’élimination de tous les déchets inutiles lors des expériences de consommation.
Un journal prestigieux pour un projet de recherche ambitieux
Les travaux d’Elisa Robert-Monnot s’inscrivent dans la volonté de faire évoluer le marketing pour tenir compte des enjeux de la transition. Ils contribuent ainsi à la compréhension de différents comportements de consommation responsable : mieux acheter, en sélectionnant des produits conçus pour avoir un moindre impact environnemental et sociétal, par exemple les produits vendus sans suremballage ou en vrac ; mieux les utiliser, et plus longtemps, pour limiter leurs effets ; et mieux jeter, en favorisant la revalorisation des produits et le tri des déchets.
Le travail à l’origine de la publication dans le JCR s’inscrit dans le cadre d’une collaboration de longue date entre Elisa Robert-Monnot et Fanny Reniou. "Après avoir travaillé pendant plusieurs années sur la réduction des emballages, nous avons naturellement orienté nos recherches vers le vrac et le zéro déchet", explique la chercheuse. Le projet a vu le jour dans le cadre d’une convention de recherche avec la chaîne de magasins Biocoop, pionnier du vrac en France, et s’est étendu sur plus de cinq ans.
L’équipe a mobilisé une méthode qualitative multi-sources : observations en magasins, entretiens avec des responsables de rayons vrac, collecte de contenus sur Instagram, revue de presse, introspection, et même observation participante. "J’ai eu la chance de participer pendant 6 mois, en parallèle du projet, à un Défi Famille Zéro Déchet organisé par ma commune. Cette expérience m’a permis d’enrichir l’analyse avec une autre perspective", indique Elisa Robert-Monnot.
L’exploitation des nombreuses données recueillies a donné lieu à plusieurs publications avec divers co-auteurs. Puis, l’idée de viser le JCR a émergé. "Du fait du caractère ambitieux de ce projet de recherche, nous avons décidé de tenter notre chance auprès du Journal of Consumer Research, car nous pressentions que tant la richesse de nos données que l’angle théorique choisi (s’intéresser non pas à l’adoption des pratiques durables mais à leur maintien) pourraient être susceptibles d’intéresser cette revue prestigieuse et exigeante."
Comprendre le maintien des pratiques durables
La littérature s’est beaucoup intéressée aux raisons qui poussent les consommateurs à adopter des comportements responsables. Mais très peu de travaux analysent les conditions de leur maintien dans le temps. C’est ce décalage que l’article publié dans le JCR vient combler.
"Nous avons voulu comprendre comment les individus s’organisent pour maintenir un système de pratiques durables dans un environnement qui, lui, continue à valoriser une consommation non durable", précise Elisa Robert-Monnot. En effet, le zéro déchet ne se résume pas à l’achat en vrac : il s’agit d’un mode de vie global qui intègre le tri, le compostage, la réutilisation, la réparation, le jardinage… Ces pratiques sont interconnectées et s’ancrent autour d’un but commun : la minimisation des déchets.
L’article propose un cadre conceptuel original en identifiant des "capacités adaptatives" que les consommateurs développent pour faire face aux contraintes de leur environnement. Ces capacités – intégration, anticipation, suivi, génération et mise en réseau – leur servent de méta-compétences pour aligner, de manière cohérente, les ressources matérielles, les significations et les compétences associées aux différentes pratiques. Concrètement, avoir appris à cuisiner les épluchures de légumes (compétences), pour éviter de les gaspiller (significations), demande d’avoir un bac sur le plan de travail pour les recueillir en cuisinant et de noter ces nouvelles recettes dans un carnet (ressources matérielles). Cet exemple illustre l’articulation progressive et nécessaire entre apprentissage, équipement et sens donné à la pratique.
La consommation durable, une responsabilité partagée
Le mode de vie zéro déchet est un horizon difficile à atteindre : "On sait bien que le ‘zéro’ est inatteignable. C’est ce qui rend cette quête si particulière, comparée par exemple à d’autres objectifs qui ont une fin concrète", note la chercheuse. Pour tenir sur la durée, les consommateurs doivent fragmenter cet objectif abstrait en pratiques concrètes, plus faciles à suivre et à évaluer au quotidien. "Pour ne pas lâcher, il est aussi important de fonctionner 'petit à petit' et d’évaluer régulièrement ses progrès afin d’être capable de s’adapter et de s’améliorer continuellement au fil du temps."
Enfin, les auteurs insistent sur la nécessité d’une responsabilité partagée. "Les consommateurs ne peuvent pas tout porter seuls. Pour que ces pratiques s’institutionnalisent, il faut que les fabricants, les distributeurs et les pouvoirs publics s’engagent aussi", conclut Elisa Robert-Monnot.
Ses travaux contribuent à renouveler les approches autour de la consommation durable, en insistant sur la dynamique collective et sur les ressorts du maintien des pratiques dans la durée. Un éclairage essentiel à l’heure où les enjeux environnementaux exigent des transformations structurelles de nos modes de vie.