le 13 avril 2023
Bâtiment Les Chênes 2
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Publié le 27 mars 2023 Mis à jour le 6 avril 2023

Ateliers de recherche, Imen Moussa

Imen Moussa
Imen Moussa

Dans le cadre des ateliers de recherche organisés par le master-doctorat Littératures francophones de CY Cergy Paris Université, Imen Moussa est invitée le jeudi 13 avril 2023 sur le site universitaire des Chênes pour un séminaire sur le thème "Ecriture de la thèse et performance poétique : regards croisés sur les femmes du Maghreb".

Présentation

Imen Moussa est né à Bizerte, en Tunisie, en 1987. Elle a fait ses études de Lettres à l’université de Cergy-Pontoise. Docteure en littératures française et francophone, elle consacre ses travaux de recherche à la situation des femmes dans le Maghreb contemporain. Son engagement dans le travail associatif mais aussi sa passion pour les voyages fait naître dans son écriture le thème de "l'identité nomade", dont elle a fait un véritable mode de vie. Poétesse performeuse, elle est corédactrice en chef de la revue Ana Hiya . En 2020, elle a publié son premier recueil de poèmes Il fallait bien une racine ailleurs, éditions l’Harmattan. Elle se produit régulièrement sur scène. Le 8 mars 2023, à Grenoble lui est décerné le Prix littéraire Dina Sahyouni de Société Internationale d'Études des Femmes& d'Études de Genre en Poésie (SIÉFÉGP)

En février 2023, sa thèse est parue aux éditions le Manuscrit, sous le titre Genre et émancipation des femmes dans le roman maghrébin contemporain.

Interview de Imen Moussa

En février 2023, votre thèse est parue aux éditions le Manuscrit, sous le titre : Genre et émancipation des femmes dans le roman maghrébin contemporain : qu'est-ce qui a déclenché, en vous, l'envie d'écrire une thèse sur ce sujet ?

J’ai quitté la Tunisie quelques mois après la révolution de 2011 pour poursuivre mes études en France. De l’autre côté de la Méditerranée, j’ai suivi avec beaucoup d’attention les changements sociopolitiques qu’entamait mon pays en m’interrogeant sur la place des femmes dans cette effervescence. Aussi, je cherchais des réponses dans la littérature pour comprendre certains phénomènes très nouveaux comme la montée de l’intégrisme à cette époque et les menaces qui planaient sur les droits des Tunisiennes. Conseillée par madame Sylvie Brodziak et madame Christiane Chaulet-Achour, j’ai d’abord travaillé pour mon mémoire de master sur les écrits de Maïssa Bey autour de la décennie noire en Algérie. Au fil de mes recherches, j’ai découvert d’autres autrices du Maghreb contemporain, mais aussi d’autres problématiques étroitement liées à la question du genre. Autant de sujets qui faisaient écho à notre actualité. C’est pourquoi, une étude comparative s’est imposée pour tenter de comprendre ce que raconte la fiction portée par les femmes sur leur situation et sur la situation des pays qu’elles habitent.  

Comment vos écrits personnels - fiction, poésie, performances - et votre parcours de créatrice ont-ils influencé votre réflexion personnelle et universitaire lors de l’écriture de la thèse ?

Pour ma part, la recherche et la création vont de pair parce qu’en parlant d’"elles", mon "je" s’est inévitablement manifesté. J’explique ; j’ai entamé la grande aventure de la thèse avec passion, comme un accomplissement personnel. C’était pour moi une forme d’engagement parce que je voulais faire entendre à mon échelle les nouvelles voix et les nouvelles aspirations des femmes dans cette région du monde. Toutefois, en me penchant sur les écrits des autrices, j’ai réalisé que, dans ce même désir d’engagement, j’avais aussi des choses à dire sur ce qui se passe autour de moi. Mais, par souci de neutralité, la rigueur qu’impose la recherche ne me permettait pas de faire parvenir ma propre vision du monde. Aussi, je me suis tournée vers la liberté qu’offre l’écriture de la poésie, les voyages ou encore l’espace de la scène. Je suis ainsi partie sur les routes. J’ai photographié ; des portraits, des paysages et des instants de vies dans les pays que j’ai eu la chance de parcourir. En chemin, j’ai beaucoup écrit sur ce que je découvrais, ce qui m’émerveillait et ce qui m’intriguait. Je laissais mon « je » s’exprimer avec la liberté dont il avait besoin. De retour en France, devant mon ordinateur, je reprenais ma posture relativement statique de chercheuse pour poursuivre mon étude sur les mots des femmes. Plus tard, la scène m’a aussi appelée pour joindre ma voix à l’écriture. C’est comme ça que j’ai intégré l’univers des spectacles avec le Bureau International Jeunesse de Bruxelles. D’autres horizons artistiques se sont dessinés et s’annoncent encore. Pour cette raison, je ne sais travailler que dans l’interdisciplinarité. Je peux dire enfin que la recherche et la création sont comme deux peaux que je porte, deux peaux qui se superposent et s’enchevêtrent de manière naturelle. Après tout, il s’agit de "mots" et les mots trouvent toujours une terre de rencontre.  

Vous êtes née en Tunisie et êtes docteure en littérature.s française et francophones : pour vous qu'est-ce qu'une écrivaine ou un écrivain francophone et quels rapports entretenez-vous avec le français ?

Une écrivaine ou un écrivain qui s’inscrit dans les francophonies littéraires est une personne qui, à un moment donné de sa vie, a fait une rencontre cherchée ou imposée avec la langue-culture française. Puis, après cette rencontre, apaisée ou non, l’écrivaine ou l'écrivain opère un travail d’appropriation pour pouvoir créer en français avec la "présence de toutes les langues du monde" comme le dit si bien Édouard Glissant. Pour ma part, la rencontre avec la langue française est d’abord l’histoire d’un héritage familial. Mon grand-père a quitté la Tunisie seul, à l’âge de 13 ans, pour s’installer dans un petit village non loin d’Aix-en-Provence. C’est là qu’il s’est marié et a eu 7 enfants dont ma mère. Cette dernière a décidé de s’installer dans son pays d’origine alors qu’elle parlait très peu le tunisien. Dans ce sens, j’ai grandi avec deux langues qui ont toujours coexisté dans notre maison sans qu’on se pose des questions sur la légitimité de l’une ou de l’autre. D’autre part, mon bagage familial ne me prédestinait pas à nouer un rapport avec la création littéraire de manière générale. Issue d’une famille d’agriculteurs et d’ouvriers, les livres n’étaient pas des objets très présents dans notre sphère. J’avais bien sûr le droit à des histoires pour enfants avant de dormir, mais c’était ma grand-mère qui me les contait oralement. Aussi, mis à part quelques textes lus, dans le cadre scolaire, mon arrivée à la lecture était tardive. Mon premier contact avec le livre fût un concours de circonstances lorsque à dix ans, je suis tombée par hasard sur Parole de femme d’Annie Leclerc qui trainait dans un tiroir chez mes grands-parents. Cette rencontre « inappropriée » m’a faite découvrir mon amour pour la lecture. J’ai dévoré cet ouvrage avec ses mots aussi compliqués les uns que les autres. J’ai déchiffré dans le dictionnaire chaque expression, seule, en secret car, par instinct, je savais que ce que je lisais était tabou chez moi. Étrangement, ce que je lisais résonnait dans la tête de la fillette que j’étais… En ouvrant ce tiroir, j’ai ouvert ma boulimie livresque, j’ai fouillé un peu plus et j’y ai découvert aussi l’amour de Jacques Prévert pour Barbara, Les Destinées d’Alfred de Vigny et À la recherche du temps perdu de Proust. Des livres que mon grand-père avait ramenés de France pour les vendre lors de ses prochaines brocantes à Bizerte. Bien plus tard, lorsque le désire d’écrire est né chez moi, il est né dans la langue française, la langue des livres découverts en secret et qui m’ont racontée le monde sans tabous. 

Pour les étudiantes et étudiants qui souhaiteraient se lancer dans l'aventure de la thèse, quels conseils donneriez-vous ? Qu'auriez-vous aimé savoir avant d'entamer ce projet ?

Comme je le disais précédemment, la thèse est une aventure. Alors, pour pouvoir aller jusqu’au bout de cette aventure, il faut porter la passion du sujet étudié avec un grand P. C’est de cette manière que vous ne succomberez pas à la tentation de lâcher prise à chaque étape de ce long et laborieux parcours. Je ne sais pas si c’est sensé de dire ça mais, n’oubliez pas de vivre. 
En tant doctorant, les recherches et les rédactions prennent une grande part de notre quotidien. On focalise dessus en oubliant que pour pouvoir avoir un œil à l’intérieur, il faut prendre le temps de regarder à l’extérieur. Si vous oubliez de sortir, de vivre vos autres passions et si vous vous enfermez pour tenir le cap de cette course effrénée à la productivité, comment voulez-vous trouver le souffle pour apporter un regard neuf à ce que vous produisez ! 
C’est ce que j’aurais aimé savoir au début de mon parcours. Au début, je culpabilisais énormément lorsque je ne consacrais pas du temps à ma thèse parce que la tentation de "vivre autre chose" me prenait. Mais en réalité, c’est au moment où j’ai commencé à accepter de consacrer mon temps à d’autres occupations comme les voyages, les activités associatives et artistiques ou encore à mes entraînements de boxe thaïlandaise, que j’ai pu avancer à grands pas dans l’écriture de ma thèse pour enfin aboutir à sa soutenance puis à sa publication. 
Aérer l’esprit et aller à la rencontre des autres pour nourrir la réflexion et pour ne pas se sentir isolé dans son travail, c’est là l’essentiel de l’aventure.  


Interview de Mustapha Benfodil
Par Damien Mougeot, étudiant en master Littératures française et francophones
et ambassadeur du service culture de CY Cergy Paris Université 

Informations pratiques
  • Jeudi 13 avril 2023 de 17h à 19h
  • Salle 008, bâtiment des Chênes 2, site des Chênes à Cergy
  • Entrée libre, ouvert à tous

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