le 2 mars 2021
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Publié le 2 mars 2021 Mis à jour le 9 mars 2021

Ambiances du (contre)terrorisme dans les villes européennes

Terrorisme et impact urbain - © Paul Simpson

Damien Masson, maître de conférences en urbanisme et chercheur au laboratoire MRTE à CY Cergy Paris Université, explique le projet de recherche international réalisé dans le cadre de l’appel à projets ORA 6e édition (co-financement ESRC, ANR, DFG). Commencé le 1er janvier 2021 pour une durée de 3 ans et mené en partenariat avec l’université de Birmingham, l’université de Plymouth, l’université de Jena et l’institut Paris Région, ce projet interroge les ambiances spécifiques en relation avec les mesures sécuritaires dans l’espace urbain pour la lutte anti-terroriste.

Le terrorisme est un phénomène profondément urbain. Dans ce projet, nous définissons le terrorisme comme des actes de violence motivés idéologiquement dirigés contre une population générale, cherchant à produire un sentiment diffus de peur au-delà de ceux qui sont directement touchés par ces actes. Comparée à d'autres régions du monde, l'Europe connaît un nombre absolu d'attaques terroristes relativement faible. Toutefois, on assiste à d’importants réaménagements des villes européennes suivant une logique militarisée, en réponse à ces attaques et aux menaces futures.

Par exemple, les fonctions traditionnellement associées à la protection des États (contrôle des frontières, surveillance de la mobilité, patrouilles de l'armée) font de plus en plus partie intégrante des politiques, des discours, des espaces et des infrastructures de la sécurité urbaine. Cette "urbanisation de la terreur" implique un changement substantiel dans la manière dont les terroristes opèrent, qui délaissent les attaques de grande envergure contre des espaces sécurisés, pour s'attaquer plutôt à des "cibles faciles" (espaces de tous les jours, marchés de Noël, rues piétonnes, trottoirs, hôtels, restaurants, cafés, etc.) qui sont difficiles, voire impossibles, à sécuriser. Les attaques contre de tels espaces peuvent être menées au moyen d'une préparation et d'un armement peu sophistiqués. La sécurité de ces "cibles faciles" ne peut être assurée par une planification traditionnelle axée sur le renforcement des infrastructures, sans modifier l'expérience de l'espace public. En d'autres termes, face au terrorisme, les espaces publics urbains subissent non seulement de profonds changements physiques et matériels, mais aussi des changements d’ambiance – c'est-à-dire dans leur qualité d’espaces sensibles partagés.

Nous soutenons que la sécurité et la lutte contre le terrorisme dans les villes ne se limitent pas uniquement au renforcement des infrastructures sécuritaires, des barrières de tous ordres, des opérations d'urgence, raids et confinements. Ce que nous ne savons pas encore de façon détaillée, ni systématique, c'est de quelles manières la lutte contre le terrorisme change l'expérience urbaine pour des millions d’habitants et d’usagers des villes. Pour cela, nous mobilisons la notion d’ambiance comme moyen de réfléchir et d'interpréter les expériences individuelles et collectives vécues par les citadins confrontés à la fois aux mesures antiterroristes et à la menace terroriste. Concrètement, les questions posées par ce projet sont les suivantes : que font les ambiances aux lieux et aux corps ? De quoi sont-elles l’effet et quels sont leurs effets ? Quel pouvoir ont-elles pour faire agir et penser ?

Plus spécifiquement, cette recherche se demande :
  • Comment les menaces terroristes et les réponses sécuritaires modifient-elles les ambiances des espaces publics dans les villes européennes ?
  • Quelles sont les implications ambiantes des mesures antiterroristes sur la capacité de rencontre et d’interaction dans les espaces publics bondés des villes européennes ?
  • Comment l'expérience ressentie de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité se traduitelle dans les diverses populations urbaines ?
  • Comment pouvons-nous opérationnaliser la notion d’ambiance, comme focale conceptuelle et comme outil pratique permettant d'améliorer l'expérience quotidienne de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme en milieu urbain ?
Ce projet propose une comparaison internationale à grande échelle, qualitative et quantitative de la manière dont la lutte contre le terrorisme et les dispositifs sécuritaires urbains interagissent avec notre expérience quotidienne des villes en Europe. Le projet articule une enquête internationale par questionnaire centrée sur les perceptions de la menace terroriste dans l'expérience ordinaire de l'espace urbain et des pratiques quotidiennes des habitants de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni avec une enquête approfondie dans cinq villes européennes ayant des histoires spécifiques avec des attentats, des menaces multiples et des réponses politiques et aménagistes contrastées (Berlin, Birmingham, Nice, Paris et Plymouth). Ces terrains mobilisent les résidents, usagers et les acteurs impliqués dans la sécurité, comme la planification urbaines. Cette recherche apporte des connaissances empiriques aux débats scientifiques contemporains en géographie sociale et culturelle et en géopolitique urbaine. En outre, le projet fournira des ressources aux praticiens (urbanistes, agences de sécurité et grand public). L’enjeu consiste à produire des connaissances originales et utiles sur la manière dont la lutte contre le terrorisme a un impact sur les qualités ressenties, ou sur les ambiances, des espaces urbains.
 

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