le 16 mars 2023
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Publié le 7 mars 2023 Mis à jour le 15 mars 2023

Ateliers de recherche, Mustapha Benfodil

Mustapha Benfodil
Mustapha Benfodil

Dans le cadre des ateliers de recherche organisés par le master-doctorat Littératures francophones de CY Cergy Paris Université, Mustapha Benfodil est invité le jeudi 16 mars 2023 sur le site universitaire des Chênes pour un séminaire sur le lien entre littérature et journalisme.

Présentation

Né en 1968 à Relizane, près d’Oran, dans l’ouest de l’Algérie, Mustapha Benfodil pratique l’écriture littéraire et dramatique depuis une trentaine d’années.

Titulaire de deux bacs, l’un en Maths, l’autre en Lettres, Benfodil a d’abord suivi des études de mathématiques pures, à l’Université des Sciences et de la Technologie d’Alger (1987-1990), avant de se tourner vers des études de journalisme, toujours à Alger. Sorti major de sa promotion en 1994, il a commencé à exercer le métier de journaliste dès cette année-là.

Mustapha Benfodil a commencé à publier à partir de l’an 2000. Pour ce qui est du théâtre, Benfodil a commencé à écrire pour la scène à partir de 2001. Il a composé plus d’une dizaine de pièces de théâtre. La plupart de ses pièces ont été créées en France. Certaines ont été jouées également à l’étranger (Allemagne, Angleterre, Belgique, Égypte…). En outre, Benfodil est l’auteur de nombreux textes de poésie, ainsi que d’ouvrages divers mêlant biographie, livre de voyage et essai. L’auteur pratique également la performance et l’installation littéraire.
En 2012, invité de la manifestation Marseille-Provence 2013- Capitale Européenne de la Culture, il a créé L’Antilivre, à la fois objet narratif, performance, exposition et atelier pluridisciplinaire. Cela a donné lieu à de multiples formes performatives en France, en Tunisie, en Égypte, au Maroc…
Le 20 octobre 2020, Mustapha Benfodil a reçu le Prix Mohammed Dib, le plus important prix littéraire en Algérie, pour son roman Body Writing ou Alger Journal intense.

Prochain roman : Terminus Babel (Avril 2023)
 

Interview de Mustapha Benfodil

Vous êtes journaliste au quotidien El Watan : votre travail de journaliste a-t-il une influence sur votre écriture fictionnelle ?

Je peux l’affirmer d’emblée : le journalisme traverse mon écriture littéraire de part en part. L’intertextualité entre ces deux régimes d’écriture et d’ailleurs assez visible et assez lisible dans presque toutes mes textes de fiction, que ce soit dans mes romans ou bien dans mon théâtre. Il se trouve que je suis journaliste professionnel depuis 28 ans, précisément depuis 1994, et un tel investissement dans un métier aussi prenant n’est forcément pas neutre. Et j’ai commencé à publier de la littérature en l’an 2000, cela en même temps que naissait la Maison Barzakh, mon éditeur algérois. Cela dit, mon travail de création est antérieur à mon activité journalistique. J’ai commencé à écrire de la poésie, des nouvelles, des contes, des romans, à partir de la fin des années 1980, donc je ne suis pas dans le schéma du journaliste qui se lance dans la fiction. J’ai suivi plutôt le cheminement inverse : celui d’un jeune auteur (à l’époque) qui se cherche, qui est en pleine construction de sa poétique, et qui s’attache à affiner sa pratique en espérant trouver dans le journalisme un refuge, un écosystème viable pour sa passion des mots.
Pour revenir à votre question, cette trace du journalisme dans mon écriture littéraire se manifeste dès mon premier roman publié, et qui s’intitulait « Zarta » (le déserteur), roman paru chez Barzakh en septembre 2000. Le personnage central, Z.B., est un chroniqueur de presse qui travaille dans un journal qui s’appelle Parole, et dans lequel il signe des chroniques au vitriol sous le titre générique « Conneriques ». Sa liberté de ton et ses billets satiriques dans lesquels il n’hésite pas à brocarder les militaires lui vaudront d’être enrôlé de force. Le roman conte ainsi les vicissitudes que va traverser ce journaliste irrévérencieux qui est à la base un objecteur de conscience, et qui se retrouve donc sous les drapeaux, ceci dans un contexte marqué par les bouleversements induits par la crise politique qui secouait l’Algérie à l’époque et la violence de masse des nineties. Le personnage de Z.B. est inspiré de la figure du chroniqueur telle qu’elle a émergé dans la presse algérienne des années 1990 sous l’impulsion de plumes corrosives et baroques à l’image de Saïd Mekbel - paix à son âme ; il sera assassiné le 3 décembre 1994 -, Chawki Amari, YB (Yassir Benmiloud), SAS (Sid Ahmed Semiane), ou encore un certain… Kamel Daoud qui allait faire ses grands débuts à partir de 1996.
Autre trace : dans mon roman suivant, « Les Bavardages du Seul » (Barzakh, 2003), j’ai incorporé des dépêches d’agence créées de toute pièce, et qui ont pour fonction de fournir des éléments de contexte. Et dans « Archéologie du chaos [amoureux] » (Barzakh 2007; qui paraîtra ensuite chez Al Dante, en France, en 2012), toute la partie disons « orientale » du roman où il est question de la relation nouée entre le personnage dédoublé de Yacine Nabolci/Marwan Kanafani avec une photographe de presse libanaise, Ishtar, et qui perdra la vie au cours d’un reportage, dans un bombardement de l’armée israélienne, toute cette partie donc est nourrie de mes vadrouilles au Moyen-Orient pour le journal Liberté, où j’ai effectué plusieurs reportages entre 2003 et 2006, en Irak, au Liban, en Syrie, en Jordanie, etc. A ce titre, j’avais couvert nombre d’évènements dans le monde arabe dont la guerre en Irak en 2003. Au Liban, j’avais réalisé une enquête sur les circonstances de l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri et ses répercussions sur la vie politique libanaise. Et en guise de contre-champ, j’avais poursuivi mon enquête en Syrie. Mais plus que cette enquête, ce qui me paraît le plus pertinent dans ce travail, et qui fait sens par rapport à la relation entre journalisme et littérature que nous explorons ici, c’est que je m’étais attaché à publier chaque jour un portrait d’une personne rencontrée sur place, que ce soit au Liban ou en Syrie, et ce portrait représentait pour ainsi dire une petite fenêtre subjective sur ce Moyen-Orient bouillonnant et insaisissable. Cette série s’intitulait « Carnets d’Orient ». Le format, c’était un papier de 5000 signes, mêlant plus précisément technique du portrait et carnet de route, rédigé à la première personne. A mon avis, cette démarche était en soi un projet de fusion entre esthétique littéraire et codes de l’écriture journalistique. L’exercice était en tout cas, tel que je me le représentais, de facture assez proche de l’univers de la littérature par cette poétique du « micro-récit » et de la parole incarnée, loin des analyses en surplomb prétendant tout expliquer de ce qui se joue dans cette région du monde. D’ailleurs j’aurais pu (et j’aurais dû maintenant que j’y repense) appeler cette série plutôt « portraits d’Orient » avec vraiment un « p » minuscule.  
Je citerais pour finir ma pièce, « Le point de vue de la mort » (éd. Al Dante, Marseille, 2013) qui sera créée par Kheireddine Lardjam de la compagnie El Ajouad en avril 2013 sous le titre « End/Igné ». Cette pièce traite du destin d’un jeune activiste d’une ville du Sud de l’Algérie, Aziz Benmessaoud, qui s’immolera par le feu dans un ultime geste de révolte. Et dans l’écriture de cette pièce, je me suis beaucoup servi du matériau documentaire issu d’une enquête que j’avais consacrée à la signification sociale et politique des immolations par le feu, et qui a été publiée par El Watan en janvier 2012 sous le titre « Voyage dans l’Algérie des immolés ».

Lorsque vous écrivez du théâtre, de la fiction ou encore des articles journalistiques : percevez-vous un rapport différent à l’écriture ? L’intention auprès de vos lectrices et lecteurs est-elle la même ?

Il tombe sous le sens que l’écriture littéraire est foncièrement différente de l’écriture d’un article de presse. Même si les deux registres ont un médium commun, l’écriture, il existe des différences fondamentales entre les deux modes d’expression. Ce ne sont pas les mêmes formats ; on s’inscrit dans une tout autre temporalité selon que l’on soit dans l’urgence d’un article factuel sur un évènement happé sur le vif ou bien dans un récit au long cours. Et le public ciblé est différent aussi. L’écriture de presse est censée s’adresser au plus grand nombre, dans une langue qui se doit d’être la plus claire possible pour que l’information soit correctement reçue. Il n’y a pas de place au « flou sémantique » dans la langue journalistique. C’est une écriture de l’efficacité, qui est relativement dépouillée, et qui ne peut pas s’autoriser la même inventivité langagière et les mêmes expérimentations formelles que l’on peut s’autoriser dans le roman ou même le théâtre. C’est également une écriture qui suppose une forme de « neutralité de ton » de la part de l’auteur-journaliste. Formellement en tout cas, un article d’information pure prône la sacro-sainte « objectivité » et un effacement de l’auteur au profit du récit informationnel, alors que le travail d’un artiste est d’abord l’expression d’un point de vue, d’une sensibilité et d’une vision personnelles, bref, d’une subjectivité clairement assumée.
Une autre différence essentielle à relever : c’est le rapport qu’entretient chacun de ces procédés discursifs avec le réel. Il est généralement admis que le texte journalistique s’occupe prioritairement de cette fine couche de réel qu’on appelle « l’actualité » tandis que le geste littéraire est réputé plus ample et offre plus d’épaisseur, intégrant d’autres niveaux de réalité.
Et toutes ces différences, je les perçois sensiblement quand je passe de la rédaction d’un article de presse à la composition d’un texte littéraire ou dramatique. Même en puisant dans un matériau documentaire que j’aurais au préalable traité au travers d’une enquête ou d’un reportage, je change complètement de paradigme et de perspective. Dernièrement, j’ai croisé un jeune chercheur à l’École supérieure de journalisme d’Alger où j’enseigne les techniques rédactionnelles. Et ce jeune homme me disait avec beaucoup de bienveillance que son papa était un fidèle lecteur d’El Watan et qu’il me lisait assidument. Il a ajouté que son père était surpris en lisant mon dernier roman, Body Writing, par la différence de style frappante entre mes deux écritures. En Algérie, on me classe souvent dans le courant des « écritures expérimentales », et c’est vrai que dans mes textes artistiques, je m’autorise toutes les libertés du monde avec la langue, avec la syntaxe et la grammaire. Je mélange allègrement français, arabe, kabyle, anglais… Quelquefois, j’invente des mots aussi. Ce parti pris est parfaitement illustré par ce passage de Body Writing où le narrateur, Karim Fatimi, s’amuse à imiter la langue de sa fille. Il note dans son journal :

« Aujourd'hui, Neïla m'a dit: Il ne faut pas timider chez les gens, papa!

Promis chérie!
Je ne vais plus timider
Je ne vais plus honter
Je ne vais plus rouger
Je ne vais plus anxieuser
Je ne vais plus effaroucher
Je ne vais plus me torture
Je ne vais plus bégaiements
Je ne vais plus introverter
Je ne vais plus inhibition
Je ne vais plus maladroitement
Je ne vais plus me…résignation
Je ne vais plus me…désintégration
Je ne vais plus hypocondrer
Je ne vais plus me diplomater
Je ne vais plus me désolatrer

Je ne vais plus timider
Je vais t'imiter
Je vais bêtiser
Je vais joyeuser
Je vais cooliser
Je vais drôliser
je vais fôlatre
je vais désinvolture
je vais soleiller
Je ne vais plus m'excuses
Je vais m'affirmation
J'irai fierté chez les gens
                           PROMIS! »



Le mois prochain votre prochain ouvrage, Terminus Babel, sortira aux éditions Macula. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

 « Terminus Babel » paraîtra en effet en coédition chez Barzakh, à Alger, et aux éditions Macula, à Paris. Sa sortie est prévue à la fin avril. L’une des particularités de cet opus est que le narrateur est un livre ; un roman intitulé « K’tab/Oraison pour une étoile sauvage », « K’tab » étant un mot en arabe qui signifie « livre » en français. Édité à Alger, « K’tab » va figurer parmi les acquisitions d’une prestigieuse bibliothèque en France. Suite à un « accident de lecture » qui va abîmer ses pages, il est retiré de la bibliothèque et placé provisoirement dans une réserve où sont massés tous les livres retirés des collections, et qui vont être envoyés au pilon. C’est à partir de cet évènement que va commencer l’histoire de  « K’tab ». Il va alors nous faire le récit de sa vie de livre en déployant une narration sur deux temporalités : le moment présent et les péripéties qu’il va connaître depuis qu’il a rejoint la « communauté du pilon » en attendant sa mise à mort. Et par alternance avec ce récit du temps présent, il y aura une autre strate narrative où il va raconter en quelque sorte son propre « making of » et faire entrer le lecteur dans la petite cuisine littéraire de son auteur qu’il désigne simplement par « l’Écrivain ».
Le thème du pilon est, convient-il de le noter, un aspect méconnu de l’industrie du livre, et c’est un peu cet angle mort du monde de l’édition que le roman aborde. Et par-delà la mise au pilon pour des considérations économiques et écologiques, à savoir récupérer et recycler le papier des livres éliminés du circuit, le roman interroge plus généralement les violences faites au livre, depuis les violences invisibles du marché littéraire jusqu’à la destruction des livres pour des considérations politiques. Voilà très brièvement le propos de ce roman.


Interview de Mustapha Benfodil
Par Damien Mougeot, étudiant en master Littératures française et francophones
et ambassadeur du service culture de CY Cergy Paris Université 

Informations pratiques
  • Jeudi 16 mars 2023 de 17h à 19h
  • Salle 008, bâtiment des Chênes 2, site des Chênes à Cergy
  • Entrée libre, ouvert à tous

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